Discours prononcée à l'occasion de la cérémonie de remise de diplôme de Docteur Horis Causa à l'Académie des Sciences d'Outre Mer
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Discours prononcée à l'occasion de la cérémonie de remise de diplôme de Docteur Horis Causa à l'Académie des Sciences d'Outre Mer

Discours — 21 décembre 2016

Excellence, Monsieur François Hollande, Président de la République Française, cher François,

Excellence, Monsieur le Président Abdou Diouf, ancien Président de la République du Sénégal,

Madame la Présidente du Conseil économique, social et environnemental du Sénégal,

Mesdames, Messieurs les Ministres,

Monsieur Pierre Gény, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer,

Mesdames, Messieurs les membres de l’Académie,

Mesdames, Messieurs, en vos titres rangs et qualités,

Hier, 20 décembre 2016, il y a quinze ans, jour pour jour, nous quittait Léopold Sédar Senghor, poète et Homme d’Etat émérite, premier Président de la République du Sénégal. Chantre infatigable de la négritude, Senghor s’est éteint dans le Calvados, en terre normande, celle de son épouse, Colette. Né et enterré au Sénégal, Senghor, l’agrégé de grammaire, membre de l’Académie Française et de l’Académie des Sciences d’Outre-Mer, aimait profondément la France, dont il fit rayonner passionnément la langue.

Sa figure emblématique est l’expression la plus achevée de ce qui nous unit et nous rassemble ici, enracinés dans nos valeurs de culture et de civilisation, et ouverts aux souffles fécondants de l’extérieur.

C’est ce que Senghor l’humaniste appelait le « rendez-vous du donner et du recevoir » qui préfigure la « Civilisation de l’Universel », dont il était un ardent défenseur.

Le Président Abdou Diouf, ici présent, membre de votre Académie, est son successeur et un de ses plus fidèles disciples.

En cette circonstance solennelle, je vous prie, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir observer une minute de silence à la mémoire du Président Senghor. Je vous remercie.

Monsieur le Président François Hollande, si je suis accueilli aujourd’hui au sein de cette prestigieuse instance, c’est parce que vous avez bien voulu me convier en visite d’Etat en France, la première à ce niveau depuis celle du Président Diouf en 1992.

Je vous remercie pour votre invitation et votre présence ici, qui portent, l’une et l’autre, la marque de votre fidélité à l’amitié entre nos deux pays. Je salue, en même temps, votre engagement solidaire à nos côtés, au plan bilatéral et africain, sur les grandes problématiques qui nous interpellent, comme l’illustre si bien l’action de la France pour le rétablissement et le maintien de paix en Afrique.

Merci à Vous, Président Abdou Diouf, pour l’honneur que vous me faites par votre présence. Au-delà des sentiments d’affection et d’estime cordiale qui nous lient, vous illustrez ainsi votre attachement aux valeurs élevées que vous avez toujours incarnées avec dignité et élégance à la tête de notre pays et de l’Organisation internationale de la Francophonie.  

Monsieur le Secrétaire perpétuel,

Mesdames, Messieurs les membres de l’Académie,

Je vous suis reconnaissant de m’avoir choisi pour être un des vôtres, et vous remercie de m’accueillir parmi vous, avec tant de gentillesse et de générosité.

A l’honneur que vous me faites, s’ajoute le plaisir et l’humilité personnels que je ressens de partager avec M. Gény, votre Secrétaire perpétuel, la passion de la géologie, le gê logos, selon son origine grecque, qui n’est rien d’autre que le « discours de la terre ».

Mais, -et c’est important- la différence tient en ce que M. Gény bénéficie du privilège et du droit d’ainesse, puisque que j’avais un an quand il soutenait sa thèse de Doctorat en 1962.

Si nos chemins s’étaient croisés dans ma formation d’ingénieur, M. Gény aurait donc pu être un de mes maîtres, en m’apprenant à « lier le bois au bois », selon la formule de mon compatriote Cheikh Hamidou Kane.

M. le Secrétaire perpétuel, je vous présente tous mes respects.   

Je suis conscient qu’à travers ma personne, après mes illustres prédécesseurs que vous avez accueillis ici, c’est une fois de plus mon pays, le Sénégal, et son peuple que votre Académie a voulu convier à ce banquet de l’esprit, dans ce haut-lieu qui symbolise l’histoire, la culture et la science.

Quand le journaliste Paul Bourdarie  eut l’idée lumineuse de créer une société savante spécialisée dans les problèmes d’Outre-Mer, qui donnera naissance à votre Institution, il laissa à la postérité un viatique en quatre mots clefs : savoir, comprendre, respecter, aimer. Votre Académie en fera sa devise. C’était le 18 mai 1923, à la séance solennelle d’ouverture de l’Académie.

Eh bien, quelle inspiration, et quel sens de l’histoire Mesdames, Messieurs de l’Académie,  que d’avoir su se saisir d’un si précieux legs !

Oui, quelle inspiration et quel sens de l’histoire, parce que 93 ans après, jamais votre devise n’a été aussi pertinente qu’en ces temps où le monde, pris dans la tourmente de la guerre et de la violence aveugle, est saisi par d’innombrables  convulsions.

Votre pays ami en porte les stigmates affligeants, par la série d’attentats odieux qui l’ont endeuillé. Je salue la mémoire de toutes les victimes de cette horreur inqualifiable.

La violence, sous toutes ses formes, nous ramène à une question métaphysique : où va le monde ? La réponse m’échappe, ne sachant lire à travers une boule de cristal.

Mais en tant que citoyen du monde, je me sens concerné par le destin de l’humanité. Je rêve d’un monde meilleur, un monde de paix et de fraternité humaine. Et c’est l’objet de la réflexion que je voudrais soumettre à la sagacité de votre auguste Assemblée

Je reviens à ma question préalable : où va le monde ?

Certain pensent trouver la réponse dans un cheminement qui mène à la fin de l’histoire, une ère qui signerait l’avènement d’un monde « à sens unique », un monde soumis au  triomphe idéologique du libéralisme démocratique sur toutes les autres doctrines  politiques.

D’autres ont théorisé sur un processus  conduisant au choc des civilisations, annonciateur  d’un nouvel ordre mondial incertain, régi par des paradigmes identitaires et multi civilisationnels plutôt conflictuels, en lieu et place du champ connu des conflictualités idéologiques classiques. .

A l’épreuve du temps, le monde dont nous avons hérité n’est ni l’un ni l’autre.

Si la démocratie libérale a connu des avancées significatives, pour des millions d’hommes et de femmes à travers le monde, la liberté et le respect des droits humains fondamentaux relèvent plus du rêve que de la réalité. Et dans bien des cas, force est de le reconnaitre, la quête de la démocratie sous le prisme d’un regard extérieur a plutôt fait place au chaos et à la violence sans délivrer la vertu de l’idéal recherché.  

D’autre part, l’idée même de choc des civilisations relève à mon sens, plus d’une modélisation doctrinale que du domaine du réel. On aurait tort de prononcer si vite l’oraison funèbre des idéologies. Les idéologies ne sont pas mortes ; pas plus que l’Etat dans lequel elle s’incarnent.

De plus, dans un monde globalisé et d’interdépendances, rien n’est plus arbitraire et réducteur que de tracer des aires civilisationnelles exemptes de toute influence extérieure.

Que ferait-on alors des interculturalités et de tous les binationaux si fièrement attachés à leur double appartenance ?  Que ferait –on de toutes ces parties du monde où se croisent et cohabitent une pluralité de cultures et de religions ?

Venant d’un pays de diversités culturelles, linguistiques et religieuses, nous récusons autant la fin de l’histoire pour ce qu’elle porte de pensée unique, que le choc des civilisations pour sa charge conflictuelle.

Au Sénégal, nous sommes un pays de 95% de musulmans qui a élu pendant vingt ans un compatriote chrétien à la tête de l’Etat ; un pays où une même famille peut compter des imams et des prêtres ; où les fêtes, musulmanes ou chrétiennes, sont autant d’occasions de communion, de solidarité et de partage.

Alors, à ceux qui parlent de fin de l’histoire et de choc des civilisations, nous répondons : coexistence pacifique et dialogue des cultures et des civilisations.

A mon sens, le défi, aujourd’hui, est d’éviter que ne survienne l’état de nature que redoutait tant Thomas Hobbes, où l’homme serait un loup pour l’homme, selon sa célèbre expression.

Chez nous, au Sénégal, une vieille sagesse populaire exprimée en langue nationale wolof, dit plutôt   : « nit, nit ay garabam » ; l’homme est le remède de l’homme ; pour exalter le degré élevé de bienveillance, de solidarité et de fraternité humaine qui doit lier l’homme à son prochain.

Un de vos brillants esprits, Alphonse Lamartine, traduisait le même sentiment d’humanité après la mort prématurée de son amante, Julie Charles : Un seul être vous manque et tout est dépeuplé, gémit-il, dans son poème l’Isolement.

Notre monde, comme le poète affligé par la disparition brutale de son amante, souffre du  mal de vivre. Plus que d’une crise économique, il est saisi d’une crise de sens.

Que l’on en juge.

L’égoïsme, la quête effrénée de l’avoir et le désir de paraitre ont pris le pas sur l’éthique de  l’être, et du coup, l’éphémère l’emporte sur le durable.

Le monde est comme enfermé dans un bourbier où les préjugés et le mépris culturel, l’ignorance et l’obscurantisme nourrissent la méfiance, la peur et l’incompréhension, en même temps qu’ils entretiennent l’extrémisme violent et la guerre.

Alors que grâce aux progrès techniques et scientifiques, l’homme parcourt des distances sans précédent dans l’histoire, voyage à travers le monde, conquiert l’espace pour explorer l’inconnu, paradoxe des temps modernes, il rechigne souvent à entamer le voyage intime pour redécouvrir ses propres horizons intérieurs et faire revivre, par le cœur et l’esprit, l’émotion et la raison qui valorisent, distinguent et élèvent le génie humain.

Devons-nous, pour autant céder à la fatalité du désespoir ?

Non, à mon sens, il convient, plutôt, par un effort d’introspection remonter à la hauteur du génie humain et revenir à la sagesse des anciens pour l’avènement d’un monde meilleur, par la vertu conciliatrice d’un nouveau contrat social, pour reprendre Jean Jacques Rousseau.

Mon point de vue est qu’un monde nouveau, un monde meilleur, plus ouvert et plus tolérant est possible à l’heure où l’ère des cultures closes est close et que l’ère des cultures ouvertes est ouverte. Une culture se renouvelle toujours par son ouverture au contact des apports positifs des autres. A l’opposé, elle s’étiole, s’achève et meurt quand elle sombre dans l’isolement.

Dans ce monde nouveau, d’interactions et d’échanges fécondants, l’Afrique qui a tant porté le fardeau de l’histoire, doit trouver toute sa place.

Ceux de ma génération, bien que nés après nos indépendances, n’en gardent pas moins intact le souvenir du passé, par devoir de mémoire et contre les tentations dangereuses du révisionnisme.

Pour autant, nous ne voulons pas être tenaillés par les chaines de l’histoire. Nous sommes résolus à aller de l’avant, pour une Afrique qui pense et agit par et pour elle-même.

Je sais que les défis auxquels notre continent fait face sont multiples, qu’ils tiennent à la paix et à la sécurité, à la consolidation de la démocratie et au développement économique et social.

Je ne sous-estime pas ces défis. Ils sont, du reste, constamment mis en exergue sous le feu de l’actualité.

Mais il y a cette autre Afrique qui bouge, et qui évolue dans le bon sens.

Cette Afrique-là n’est pas souvent visible, parce qu’elle ne fait pas de bruit, elle ne fait pas sensation.

Je veux parler de l’Afrique des pères et des mères de familles qui se réveillent tôt, se couchent tard et travaillent dur pour offrir le meilleur à leurs enfants. Je veux parler de  l'Afrique des artistes et des artisans ;  l'Afrique des agriculteurs, des éleveurs et des pêcheurs ;  l’Afrique des ouvriers et des artisans ; l’Afrique des intellectuels, hommes et femmes de culture ; l’Afrique des opérateurs économiques ; l'Afrique des étudiants et élèves studieux, assidus et enthousiastes à l'idée de mener à bien leurs humanités et assurer la relève.

C’est en cette Afrique que nous croyons, parce que c'est elle qui nourrit nos rêves, c'est elle qui motive nos ambitions, c'est elle qui fonde nos espoirs, c'est elle qui inspire le respect et la valorisation de nos diversités, c'est elle qui donne sens et raison d’être à notre combat pour un nouvel ordre mondial plus juste et plus équitable.

Cette Afrique que nous voulons construire, ne veut pas seulement se définir comme le continent du futur, selon une expression à la mode, mais comme partie intégrante des dynamiques actuelles qui modèlent le futur du monde.

C’est dans cette perspective que nous poursuivons depuis deux ans la mise en œuvre du Plan Sénégal Emergent, la nouvelle stratégie de développement économique et social que nous avons lancée en février 2014 en vue d’accélérer les performances du Sénégal pour en faire une économie émergente à l'horizon 2035, avec un taux de croissance annuel de 7% au moins sur la durée.

Le PSE s’appuie sur des initiatives et projets structurants, dont :

  • un nouveau pôle urbain qui sera doté d’une Cité du savoir, dont une université portant le nom d’Amadou Mahtar Mbow, ancien Directeur général de l’Unesco ;
  • des infrastructures routières, dont des autoroutes à péage ;
  • un nouvel aéroport international en cours de finition ;
  • un projet de Train Express Régional, fruit d’un partenariat franco-sénégalais dont nous avons lancé les travaux il y a juste quelques jours ;  
  • une mécanisation progressive de l’agriculture pour atteindre l’autosuffisance alimentaire ;
  • et des centrales solaires et éoliennes, pour une transition énergétique propre et compétitive dans l’esprit de l’Accord de Paris sur le climat.

Messieurs les Présidents,

Mesdames, Messieurs,

En livrant les réflexions que voilà, j’ai conscience du rôle éminent de l’Académie des Sciences d’Outre-mer comme réceptacle d’idées et pôle de valorisation des connaissances.

Avec vous, distingués membres de l’Académie, je me réjouis et me sens honoré d’être en bonne compagnie, dans ce lieu d’enrichissement mutuel et de dialogue interculturel, qui fait la symbiose entre le local et le global, ces deux pôles incontournables d’une civilisation véritablement pan humaine.

Voilà ce qui ramène encore au sens et à l’essence de votre devise, tel un trait d’union entre le passé, le présent et le futur.

Oui, pour un monde de paix et de fraternité humaine il faut savoir, comprendre, respecter, aimer.

Je vous remercie.