Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Professeur Iba Der Thiam, Coordonnateur général du Comité de pilotage de l’Histoire générale du Sénégal, des origines à nos jours,
Mesdames, Messieurs les membres du Comité,
Autorités académiques, religieuses et coutumières,
Mesdames, Messieurs, les membres du corps enseignant,
Chers invités,
La cérémonie qui nous réunit cet après-midi, ici, au Palais de la République, fait partie de celles que j’affectionne le plus.
D’abord, parce que c’est toujours enrichissant de se retrouver dans un cadre aussi qualitatif, rassemblant d’éminents universitaires, chercheurs, intellectuels et autres ressources humaines de haut rang.
Ensuite, parce que le sujet est d’importance, puisqu’il nous fait revisiter notre histoire, pour éclairer notre présent et baliser la voie du futur.
Enfin, et surtout, parce que la connaissance de l’histoire participe à la formation de citoyens conscients et respectueux de leurs valeurs de culture et de civilisation.
Feu le Professeur Joseph Ki-Zerbo disait avec raison qu’un peuple sans histoire est un monde sans âme.
Voilà pourquoi, quand le Pr Iba Der Thiam m’a entretenu du projet de rédaction d’une Histoire générale du Sénégal, des origines à nos jours, j’ai soutenu l’initiative avec enthousiasme, parce qu’elle rencontrait un souhait qui me tenait ardemment à cœur.
Il fallait relever ce défi immense. Et vous y êtes. Je tiens à préciser que le Professeur Iba Der Thiam et les autres principaux contributeurs à ce projet y travaillent à titre bénévole, donc sans rémunération aucune, avec comme seul viatique leur engagement citoyen et patriotique.
Je vous en remercie vivement, Pr Iba Der Thiam, vous et vos collègues ; car cette œuvre, à laquelle vous consacrez du temps et des efforts considérables, est un bien commun, un éminent service rendu à la Nation.
C’est en reconnaissance de votre engagement que j’ai tenu à vous recevoir en cette séance solennelle, pour la remise officielle des 5 premiers volumes sur les 25 que doit compter cette œuvre gigantesque, portant sur 350 000 ans d’histoire du Sénégal.
Les enjeux d’une telle œuvre sont multiples.
Enjeux historiques, parce que ne l’oublions pas, l’esclavage et la colonisation ont eu comme soubassement la négation de l’histoire, de l’âme et de la raison du peuple noir ; un peuple réduit en objet, au lieu d’être considéré en sujet de l’histoire ; un peuple taillable et corvéable à merci. Tout est dans cette formule lapidaire et véridique d’Aimé Césaire : colonisation=chosification.
Enjeux du présent, parce que les préjugés à l’encontre de l’Afrique et des Africains ont la vie dure. Certains se complaisent toujours dans la prétention d’incarner à eux seuls la Civilisation ; d’où le complexe de supériorité, le négationnisme et le mépris culturel à l’endroit des autres.
Enjeux du futur enfin, parce que celui qui maîtrise votre histoire contrôle votre présent et votre avenir, en ce sens que par l’emprise qu’il exerce sur votre intellect, il commande votre univers mental et manipule votre façon de penser et d’agir. Ainsi naissent le mimétisme, le complexe d’infériorité et l’acculturation, qui ne sont rien d’autre que le reniement de soi et l’assimilation totale à l’autre.
D’où la nécessité impérieuse de décoloniser notre histoire en la maîtrisant, c’est-à-dire en reconstituant par nous-mêmes et pour nous-mêmes le récit authentique de notre passé.
Voilà, Mesdames, Messieurs, tout le sens et la portée de cette œuvre sur l’Histoire générale du Sénégal, des origines à nos jours.
En faisant le récit de notre passé, nous éclairons d’un jour nouveau nos valeurs de culture et de civilisation.
Nous mettons à l’honneur des hommes et des femmes qui ont marqué de façon significative le cheminement de notre peuple à travers les âges.
Nous comprenons mieux ce qui nous lie, ce qui fonde notre identité nationale et nous assigne un destin commun.
Enfin, nous restituons aux évènements dont l’historicité est incontestable, leur part de vérité cachée ou omise, consciemment ou non.
L’enjeu, pour nous, n’est pas de nous engager dans un repli identitaire ou une entreprise d’autoglorification. Il s’agit, plutôt, en reconstituant le fil de notre histoire, de restaurer dans notre conscience individuelle et collective l’héritage du passé, et d’entretenir, en chacun de nous, le sentiment du commun vouloir de vie commune qui fortifie la Nation.
Je dois, en cette occasion solennelle, rendre hommage à l’œuvre grandiose du Professeur Cheikh Anta Diop pour la réhabilitation de l’histoire et de la civilisation africaines.
Dans son ouvrage intitulé Antériorité des civilisations nègres, mythe ou vérité historique ?, le Pr Cheikh Anta Diop mettait en relief, il y a plus d’un demi-siècle, le rôle de l’histoire et de la culture face aux méfaits de l’aliénation. « L’essentiel pour le peuple, disait-il, est de retrouver le fil conducteur qui le relie à son passé ancestral le plus lointain possible. Devant les agressions culturelles de toutes sortes, devant les facteurs désagrégeants du monde extérieur, l’arme culturelle la plus efficace dont puisse se doter un peuple est ce sentiment de continuité historique. »
Il est heureux que les disciples de Cheikh Anta, dont certains sont dans cette salle, continuent de porter le combat.
Au demeurant, les sceptiques et autres négationnistes de l’histoire des civilisations africaines gagneraient aussi à découvrir les travaux de François-Xavier Fauvelle, historien et archéologue, spécialiste de l’Afrique, dont le récent ouvrage, intitulé De l’Acacus au Zimbabwe, porte sur une séquence de l’histoire africaine allant de 20 000 ans avant notre ère jusqu’au 17e siècle.
L’extrait qui suit en dit long sur la place de l’Afrique dans l’histoire générale de l’humanité. Je le cite : « Balayons donc ces fausses suspicions : les sociétés africaines du passé, toutes les sociétés africaines, de tous les passés, ont toujours été les contemporaines d’autres sociétés, pareillement et singulièrement prises dans l’étoffe même du temps et du récit. Si un égard leur est dû, c’est bien celui de conforter leur place dans le cosmopolitisme des savoirs du monde. »
Fauvelle décrit avec force détails les échanges entre l’Afrique et d’autres continents ; échanges qui ont attiré en Afrique des marchands grecs ou arabes, conduit des pèlerins sahéliens à la Mecque et envoyé des diplomates nubiens de Dongola à Bagdad.
De plus, puisque les historiens s’accordent à reconnaitre que la maitrise du fer est un indicateur par excellence de l’évolution des sociétés humaines, il convient de rappeler ici les sites anciens de production métallurgique en Egypte, à Méroé, à Nok au Nigeria, à Sekkiret au Niger, au Mali, en Mauritanie, au Ghana, au Tchad et ici même au Sénégal, dans le royaume du Tékrour, sous le règne de la dynastie des Tonjon.
J’ajoute qu’il y a juste quelques jours, de hauts fourneaux métallurgiques datant de plus de 600 ans, découverts sur le site de Nimpoui au Burkina Faso, ont été classés au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Tout cela témoigne qu’en dépit des préjugés tenaces, l’Afrique entière doit prendre conscience et être fière de sa place dans l’histoire de l’humanité.
Je me réjouis, à ce sujet, que le travail en cours sur l’histoire générale du Sénégal ait pu susciter des projets similaires dans certains pays de notre sous-région.
Aujourd’hui, nous avons ajouté une pierre précieuse à l’édifice national.
D’autres étapes, tout aussi importantes, se profilent à l’horizon, notamment la rédaction des 20 volumes restants, en plus d’un dictionnaire et d’une encyclopédie sur le Sénégal. Je vous y encourage vivement, mesdames, messieurs les membres du Comité de pilotage.
En même temps, nous devons penser à la diffusion publique de l’œuvre, parce que l’Histoire générale du Sénégal n’est pas qu’une affaire d’élite. Elle est aussi et surtout celle du grand public. Je souhaite que la presse, ici présente, contribue à ce travail de vulgarisation.
En nous appuyant sur ce nouvel outil pédagogique, il nous faudra aussi revisiter le contenu de nos programmes scolaires et universitaires sur l’histoire du Sénégal. C’est l’une des finalités essentielles du projet. Voilà un autre défi à relever.
Je suis sûr qu’avec le soutien du Comité de pilotage et des acteurs de notre système éducatif nous parviendrons à cette fin. Je vous remercie de votre aimable attention.