Inauguration du Musée des Civilisations noires - discours du Président Macky Sall
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Inauguration du Musée des Civilisations noires - discours du Président Macky Sall

Discours — 06 décembre 2018

Excellence, Monsieur Azali Assoumani, Président de l’Union des Comores, cher frère,
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Président du Haut Conseil des Collectivités territoriales,
M. Luo Shugang, Ministre de la Culture et du Tourisme de la République populaire de Chine, Envoyé spécial du Président Xi Jinping,
M. Jean Marc Ayrault, ancien Premier Ministre de la République Française, Président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage,
Mesdames, Messieurs les Ministres, Chefs de délégations de pays amis et d’Institutions internationales,
Mesdames, Messieurs les Ministres de la République du Sénégal,
Mesdames, Messieurs les Députés, membres du Haut Conseil des Collectivités territoriales et du Conseil économique social et environnemental,
Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Sous-Directeur général de l’UNESCO chargé de la culture,
Mesdames, Messieurs, les acteurs culturels et artistiques, intellectuels du Sénégal et de la Diaspora,
Chers frères et sœurs d’Afrique et de la diaspora,

Avant tout propos, je tiens à remercier vivement mon frère et ami, le Président Azali Assoumani, venu de si loin avec son épouse et sa délégation, pour honorer de sa présence la cérémonie d’inauguration du Musée des Civilisations noires.
Je salue et remercie la délégation chinoise conduite par M. Luo Shugang, Ministre de la Culture et du Tourisme, ainsi que toutes les délégations des pays amis ici représentés.
Je suis reconnaissant à nos frères et sœurs de la diaspora, nos intellectuels et acteurs culturels, pour leur présence massive et enthousiaste.
A tous nos hôtes, je souhaite la bienvenue et un agréable séjour parmi nous.

Je félicite le Ministre de la culture, Abdou Latif Coulibaly, ses collaborateurs, le Président du Comité scientifique du Musée, le Directeur du Musée, et nos amis de l’Ambassade de Chine, pour tous les efforts consacrés au processus préparatoire de cette cérémonie. Dans le Manifeste culturel panafricain publié au premier festival culturel panafricain, à Alger en 1969, il est dit que, je cite : « La conservation de la culture a sauvé́ les peuples africains des tentatives de faire d’eux des peuples sans âme et sans histoire [...] et, si [la culture] relie les hommes entre eux, elle impulse aussi le progrès. Voilà̀ pourquoi l’Afrique accorde tant de soins et de prix au recouvrement de son patrimoine culturel, à la défense de sa personnalité́ et à l’éclosion de nouvelles branches de sa culture. » fin de citation.

Voilà tout le sens de la cérémonie qui nous réunit ici pour procéder à l'inauguration du Musée des Civilisations noires. Comme le Grand Théâtre national qui abrite la cérémonie, le Musée porte le symbole de l’amitié et de la solidarité du peuple chinois envers le peuple sénégalais.

Don de la Chine, elle-même berceau d’une vieille et riche civilisation, le Musée des Civilisations noires traduit notre attachement commun au respect de l’égale dignité des cultures et des civilisations, et à la sauvegarde de la diversité culturelle du monde. Il est tout à fait symbolique que cette nouvelle manifestation de solidarité sino sénégalaise se déroule au moment même où nos deux pays assurent la co Présidence du Forum de Coopération Chine-Afrique.

M. le Ministre Luo Shugang, je vous prie de transmettre à mon ami, le Président Xi Jinping, l’expression de toute ma gratitude et celle du peuple sénégalais.
Dites aussi au Président Xi que ce Musée, ouvert à toute l’Afrique et à sa diaspora, servira à tous les peuples épris de paix, de partage et de vivre ensemble.

Merci, enfin, pour l’importante contribution de la Chine à l’exposition inaugurale du Musée.

Mesdames, Messieurs, ce moment est historique. Il fait partie des repères qui, nous reliant à notre passé, résistent à l’usure du temps, se bonifient avec l’âge et nous projettent vers le futur, en gardant nos pieds fermes sur le socle de notre histoire. Enracinement et ouverture, dirait le Président Senghor.
L’acte que nous posons aujourd’hui n’est pas une singularité isolée dans son temps et dans son contexte. Il s’inscrit dans la continuité de l’histoire.

Le Musée des Civilisations noires rejoint, en effet, une dynamique au long cours ; dynamique de confluences et de symphonies entre africains et afro-descendants unis dans l’affirmation de leurs valeurs de culture et de civilisation ; valeurs à l’historicité tant de fois niée, valeurs à l’historicité tant de fois avérée !

Ce jour mémorable fait rejaillir en nous le souvenir des pionniers, symboles du refus de la domination et de l’acculturation, précurseurs du panafricanisme, et pionniers de la revendication de l’identité culturelle négro africaine. Je veux évoquer le Mouvement de la résistance à la colonisation, pour le respect de la liberté de nos peuples et la reconnaissance de leur dignité civilisationnelle.

Je veux rappeler le Mouvement panafricaniste, dont le contenu intellectuel et politique prend forme dès le 18e siècle, à travers des textes philosophiques et religieux, des pamphlets politiques et des procès retentissants intentés par des Africains de la diaspora contre leurs maîtres esclavagistes. Je pense à James Somerset, à Olaudah Equiano, Henry Sylvester Williams, Edward Blyden, George Padmore, William Du Bois, Frantz Fanon, et Marcus Garvey. Je pense à Kwame Nkrumah, à Cheikh Anta Diop et à son œuvre gigantesque sur l’histoire de la civilisation noire.

Je pense aux sœurs Paulette et Jeanne Nardal, à Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Léon Gontran Damas et Alioune Diop, précurseurs et défenseurs infatigables du Mouvement de la négritude. Je pense à Tiémoko Garan Kouyaté, anti colonialiste et membre fondateur de la Ligue de défense de la race nègre, décédé dans un funeste camp de concentration en Autriche.

Je pense à l’apport déterminant de la diaspora au mouvement d’émancipation africaine, marqués par les Conférences panafricaines de Londres en 1900, de Paris en 1919 ; les Congrès des écrivains et artistes noirs de Paris en 1956 et de Rome en 1959 ; et l’historique Festival Mondial des Arts Nègres d’avril 1966, ici même au Sénégal, à l’initiative de feu le Président Léopold Sédar Senghor.
Oui, nous sommes dans la continuité de l’histoire.
A travers les âges, l’Afrique a inventé, façonné et transformé, participant sans arrêt aux flux des innovations, prêts et emprunts dont se nourrit le progrès de l’humanité.

Ce progrès, les historiens s’accordent à reconnaitre que la maitrise du fer en était l’indicateur par excellence.
C’est tout le sens du thème de l’exposition inaugurale du Musée : « Civilisations africaines : création continue de l’humanité ».
Puisant à la source de l’histoire, ce thème remet au goût du jour l’invention de la sidérurgie en Afrique dès le troisième millénaire avant notre ère.

Rappelons, ainsi, les sites de production du fer en Egypte, à Méroé, à Nok au Nigeria, à Sekkiret au Niger, mais également au Mali, en Mauritanie, au Ghana, au Tchad et dans l’ancien royaume du Tékrour, au nord du Sénégal, sous le règne de la dynastie des Tonjon. Rappelons, avec François-Xavier Fauvelle, « l’Afrique ancienne… de l’Acacus au Zimbabwe, en passant par Kerma, Aksum, Kanem, Makouria, Abyssinie, Ifât, Ifé…sur les routes qui ont attiré les marchands grecs ou arabes dans les grandes capitales africaines, qui ont conduit les pèlerins sahéliens de Tombouctou à la Mecque, les diplomates nubiens de Dongola à Bagdad. »

Evoquer le passé de l’Afrique à l’inauguration du Musée des Civilisations noires, ce n’est pas céder à une tentation d’autoglorification ; mais jeter un regard lucide sur le passé dont s’éclaire le présent ; c’est faire honneur à nos ancêtres et rappeler à notre mémoire collective la charge que nous astreint le récit de notre histoire.

Notre devoir, c’est de rester les sentinelles vigilantes de l’héritage des anciens et de toutes ses formes d’expressions contemporaines qui serviront de viatique aux générations futures.

C’est pourquoi j’attache du prix à la revalorisation significative du secteur culturel.
Ainsi, le Fonds de soutien à la créativité et aux industries créatives est passé de 2,8 milliards de fcfa en 2013 à plus de 5,5 milliards aujourd’hui ; le Fonds de promotion de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel est porté de 1 milliard à 2 milliards ; celui de la Biennale de l’Art africain contemporain a évolué de 500 millions à 1 milliard ; et le Grand Prix du Président de la République pour les Arts et les Lettres, initialement fixé à 10 millions, est passé à 20 millions.

De même, nous avons mis en place le Fonds de promotion des cultures urbaines afin d’accompagner les projets culturels de la jeunesse créatrice du secteur. Son budget passe désormais de 300 à 600 millions de fcfa. Mon ambition est de faire plus, car la culture, identité remarquable et reflet de l’âme du peuple, n’a pas de prix. Je tiens à rendre un hommage appuyé à tous nos hommes et femmes de culture. Chaque acteur culturel est en soi un sculpteur d’émotions et de beautés, en ce sens que par ses œuvres il exalte notre sentiment d’humanité et nous conduit à chanter les louanges des beautés silencieuses ; car les beautés artistiques sont en effet silencieuses. Elles laissent le soin aux admirateurs de faire leurs éloges. Merci à tous nos génies créateurs !

Mesdames, Messieurs, chers amis,
Par un hasard du calendrier, cette cérémonie se tient quelques jours seulement après la remise au Président Emmanuel Macron du Rapport Savoy/Sarr sur la restitution du patrimoine africain, suite à son discours de Ouagadougou du 28 novembre 2017.
Nous savons les enjeux liés au sujet. Je souhaite que l’acte posé par le Président Macron ouvre la voie d’un dialogue serein et apaisé sur le rapatriement du patrimoine africain. Je salue en même temps la contribution française à l’exposition inaugurale de notre Musée, par la mise à disposition du sabre d’El Hadj Omar Tall, éminent guide religieux, intellectuel émérite et résistant à la colonisation, dont la famille est présente à cette cérémonie.
Je félicite notre compatriote, le Professeur Felwine Sarr, ici présent, et sa collègue, la Professeure Bénédicte Savoy, pour la qualité remarquable de leur Rapport. Madame Savoy, que nous avions également conviée à cette cérémonie, n’a pas pu se joindre à nous en raison d’obligations professionnelles.

Dans la continuité de l’histoire, le Musée des Civilisations noires est un instrument au service du dialogue des cultures et des civilisations. Il se veut un centre où s’harmonisent le souvenir de notre passé, le témoignage de notre présent et la confiance résolue dans notre avenir. Il se veut un lieu de conservation de notre patrimoine, mais aussi un réceptacle bouillonnant d’interculturalités, pour un nouveau regard sur l’Afrique et sa diaspora ; un regard qui reconnait et accepte la part qui nous revient de droit dans la construction de la grande aventure humaine.

C’est le sens que nous donnons à la participation de plusieurs pays amis à l’exposition inaugurale du Musée, par des œuvres culturelles et des symboles de notre histoire partagée, dont notre ancêtre commun, Toumaï, qui nous est venu exceptionnellement du Tchad pour les besoins de l’exposition inaugurale. Je remercie tous les pays amis pour leur participation.
J’engage notre jeunesse à se réapproprier l’héritage de notre histoire, à conquérir l’horizon des possibles et explorer tous les lieux de l’imaginaire, pour contribuer à la renaissance de l’Afrique ; une Afrique debout et ambitieuse ; une Afrique fièrement parée de ses valeurs de culture et de civilisation ; une Afrique ouverte à la modernité et en marche vers l’émergence ; car notre rêve de progrès et d’émergence est aussi un projet culturel. Ainsi, conciliant tradition et modernité, nous vivrons pleinement l’ère des chemins croisés, à la rencontre fraternelle d’autres peuples et d’autres civilisations.
Ainsi, nous inspirant de la sagesse prémonitoire de Cheikh Hamidou Kane, nous pourrons dire, comme lui, il y a 57 ans dans L’aventure Ambiguë, que «…chaque heure qui passe apporte un supplément d’ignition au creuset où fusionne le monde. Nous n’avons pas le même passé, … mais nous avons le même avenir, rigoureusement. L’ère des destinées singulières est révolue. Dans ce sens, la fin du monde est bien arrivée pour chacun de nous, car nul ne peut plus vivre de la seule préservation de soi...»
Les paroles du sage résonnent encore plus fort aujourd’hui que le monde est balloté dans le tourbillon des périls globaux de l’environnement, de l’extrémisme violent, du terrorisme et des antagonismes exacerbés ; de menaces qui, par leur nature et leur ampleur, dépassent l’Etat-nation et exigent forcément des solutions concertées.
Oui, l’ère des destinées singulières est assurément révolue.

Alors, nous n’avons d’autre choix que de répondre à l’invite du Président poète Léopold Sédar Senghor de marcher ensemble sur le chemin paisible et réconciliant ; marcher ensemble sur le chemin qui nous mène au rendez-vous du donner et du recevoir, prélude à la Civilisation de l’Universel, symbiose de toutes les cultures et de toutes les civilisations.

Ainsi, nous atteindrons le but ultime du Musée des Civilisations noires.
Je vous remercie.