Discours de rentrée des cours et des tribunaux
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Discours de rentrée des cours et des tribunaux

Discours — 26 janvier 2016
Monsieur le Président de l’Assemblée nationale,

Monsieur le Premier Ministre,

Madame la Présidente du Conseil économique, social et environnemental,

Monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Vice-président du Conseil supérieur de la Magistrature,

Mesdames, Messieurs les Ministres,

Mesdames, Messieurs, Honorables Députés,

Mesdames, Messieurs les Ambassadeurs et Chefs de Missions diplomatiques,

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,

Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,

Monsieur le Premier Président de la Cour des Comptes,

Monsieur le Médiateur de la République,

Monsieur le Président de la Commission électorale nationale autonome,

Monsieur le Président de la Commission nationale de Régulation de l’Audiovisuel,

Messieurs les Officiers généraux,

Mesdames, Messieurs les Recteurs,

Monsieur le Gouverneur de Dakar ;

Monsieur le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats,

Chers Doyens et Professeurs représentant la communauté universitaire,

Messieurs les Dignitaires religieux et coutumiers,

Madame et Messieurs les anciens Chefs de juridiction suprême,

Mesdames, Messieurs les Magistrats,

Mesdames, Messieurs les Avocats,

Mesdames, Messieurs les Officiers ministériels et Auxiliaires de justice,

Honorables invités,


Mesdames, Messieurs,
J’ai le plaisir de présider l’audience solennelle de rentrée des Cours et Tribunaux, et de me prêter, ainsi, à cette tradition républicaine, qui constitue un moment fort dans la vie de l’institution judiciaire.
Permettez-moi avant tout d’avoir une pensée pieuse à l’endroit des illustres disparus de la famille judiciaire. Puisse le Bon Dieu les accueillir dans son Paradis.
Je voudrais également, en ce nouvel an, adresser à tout le monde judiciaire mes vœux les meilleurs, de santé, de bonheur et de réussite.
Je saisis l’occasion pour vous réaffirmer mon engagement à poursuivre les réformes allant dans le sens du renforcement de l’Etat de droit en général et de l’amélioration qualitative du fonctionnement du service public de la justice en particulier.
Approfondissement de l’Etat de droit, c’est le sens et l’objectif de la révision constitutionnelle qui est envisagée pour cette année, et dont une importante partie est relative au pouvoir judiciaire, notamment à la justice constitutionnelle.
En effet, il faut compter parmi les quinze innovations du projet de révision :
• l’augmentation du nombre des membres du Conseil constitutionnel de 5 à 7;
• la désignation par le Président de l’Assemblée nationale de 2 des 7 membres du Conseil constitutionnel ;
• et l’élargissement des compétences du Conseil constitutionnel pour donner des avis et connaître des exceptions d’inconstitutionnalité soulevées devant la Cour d’Appel.
Avec cette nouvelle voie de droit les justiciables sénégalais n’attendront plus l’étape de la Cassation pour invoquer la garantie de leurs droits à valeur constitutionnelle.
Sont à inscrire dans le même registre les actes concrets rappelés par Monsieur le Bâtonnier qui participent aussi de ma volonté de renforcer les performances du service public de la justice dont le ministère d’avocat est une composante essentielle.
Aussi, la réflexion sur la profession d’avocat, dans un monde en mutation que vous avez évoquée, mérite d’être approfondie dans le contexte de notre pays afin de concilier l’ouverture et l’attractivité du métier.
Pour ce qui est de l’Ecole de formation des avocats, le Gouvernement vous fera parvenir très bientôt sa contribution.

Mesdames, Messieurs
La cérémonie de rentrée solennelle des cours et tribunaux de ce matin me donne, à nouveau, l’occasion de partager avec l’institution judiciaire la réflexion sur la justice au Sénégal, une justice devant toujours être, en dernière instance, au service du développement de notre pays.
Pour la présente audience, j’ai retenu, le thème : « Les collectivités locales et le contrôle de légalité ».
Ce thème, qui s’inscrit dans celui plus général de la décentralisation, revêt un intérêt majeur.
Dès mon accession à la magistrature suprême, j’ai engagé la réforme de la politique de décentralisation pour matérialiser mon ambition de territorialisation des politiques publiques.
Cette réforme s’est déjà traduite par l’adoption et l’entrée en vigueur de la loi 2013-10 du 28 décembre 2013 portant Code général des Collectivités locales qui pose les bases de cette réforme phare de l’Etat, communément appelée Acte III de la décentralisation.
Après une année de mise en œuvre de l’Acte III de la décentralisation et avant l’entame de la seconde phase à partir de cette année, j’ai demandé au Gouvernement de procéder à l’évaluation d’étape de ladite réforme.
Avec les contributions de tous les acteurs du développement territorial, le Gouvernement a dressé un état des lieux, tiré les leçons et élaboré une matrice d’intervention, en vue de procéder aux ajustements nécessaires pour un meilleur fonctionnement des collectivités locales.
Ainsi, les mesures correctives préconisées permettront d’enrichir et de finaliser la formulation de la deuxième phase de la réforme qui devrait aboutir à la consolidation de la décentralisation à travers, notamment, la revue du Code général des collectivités locales pour permettre :
• la mise en place des pôles-territoires ;
• le renforcement de la gouvernance locale ;
• la définition de mécanismes innovants de financement du développement territorial.
Dans cette perspective, la concertation engagée, avec les acteurs de la décentralisation, va se poursuivre en vue d’asseoir une véritable politique de développement territorial, futur levier de l’essor économique de notre pays.
C’est dans ce sens qu’il faut comprendre l’inscription dans le projet de révision constitutionnelle, de la constitutionnalisation des principes de la décentralisation et de la déconcentration, mais aussi de la promotion de la gouvernance locale par la création du Haut Conseil des Collectivités territoriales.
Mesdames Messieurs,
Le thème de la présente rentrée montre que la décentralisation intéresse tous les acteurs et tous les secteurs de la vie publique et institutionnelle, y compris le pouvoir judiciaire.
Il met le juge, en l’occurrence, celui chargé du contrôle de légalité des actes des collectivités locales, au cœur de la décentralisation.
Il convient de rappeler que c’est dans la dynamique d’émancipation et de responsabilisation des collectivités locales que le législateur, considérant les collectivités locales comme majeures, a décidé, en 1996, de substituer un contrôle de légalité à posteriori, rapproché, au contrôle d’approbation à priori, centralisé.
De façon générale, il s’est agi d’organiser pour tous les ordres de collectivités locales un mode de contrôle unique dans lequel le contrôle à posteriori est la règle et le contrôle à priori l’exception.
Ces principes fondamentaux du contrôle de légalité des actes des collectivités locales ont été repris par la loi 2013-10 du 28 décembre 2013 portant code général des collectivités locales issue de la première phase de l’Acte III.
Aujourd’hui, c’est l’application depuis deux décennies du régime du contrôle de légalité des actes des collectivités locales qu’il convient d’analyser ensemble.
Cet exercice nous permet de faire le point sur l’effectivité du dispositif juridique de contrôle des actes locaux par le représentant de l’Etat et le juge, mais aussi d’envisager les perspectives de son renouveau pour une meilleure gouvernance locale.

Dans le discours d’usage qu’il a prononcé, Monsieur Biram Séne, Substitut du Procureur, près le Tribunal de grande instance hors classe de Dakar, introduit, de fort belle manière, le sujet en axant sa réflexion, selon le plan binaire cher aux juristes, sur l’état du droit et de la pratique du contrôle de légalité des actes des collectivités locales.
Il a montré que le contrôle de légalité, tel qu’il est organisé et se déroule, est globalement respectueux des libertés locales, mais révèle, dans sa mise en œuvre, des insuffisances qu’il y a lieu de corriger.
Sa démonstration est rendue vivante par de nombreuses illustrations tirées de la doctrine, de la jurisprudence et des différents rapports sur le contrôle de légalité. Je le félicite pour la qualité de sa présentation.
Sous des angles différents mais complémentaires, le Procureur général près la Cour suprême, le Bâtonnier de l’ordre des avocats et le premier Président de la Cour suprême, ont successivement articulé sur le thème, des contributions de haute facture dont je salue la pertinence.
Traitant de la décentralisation, la Constitution du Sénégal prévoit que « les collectivités locales constituent le cadre institutionnel de la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques. Elles s’administrent librement par des assemblées élues ».
Pour traduire cette proclamation constitutionnelle en réalité, le législateur a instauré un mode de contrôle des actes locaux, plus conforme aux libertés locales et à la dignité des collectivités locales.
Les traits dominants de ce dispositif, rappelés par tous les intervenants, sont qu’il s’agit, d’une part, d’un contrôle circonscrit à la légalité et, d’autre part, d’un contrôle, en principe, postérieur à l’entrée en vigueur des actes.
Toutefois, il est vrai que le dispositif de contrôle institué par les textes sur la décentralisation a procédé, non pas à la suppression radicale du contrôle a priori, mais à son rétrécissement en le ramenant au rang d’exception.
Mais, il convient de retenir que le principe est que les actes des collectivités locales sont soumis à un contrôle à posteriori.
L’effectivité de ce principe a été nuancée au regard de l’importance dans la vie des collectivités locales des actes soumis à l’approbation préalable du représentant de l’Etat que sont notamment : les budgets, les plans de développement, certaines conventions financières de coopération internationale.
Au total, tout en préservant la mission régalienne de l’Etat à veiller à garantir son unité, l’institution du contrôle à posteriori, a incontestablement une portée émancipatrice pour les collectivités locales ; elle induit une plus grande responsabilisation des élus locaux et élimine les lenteurs notées jadis dans la mise en œuvre des décisions des organes des collectivités locales.
Les dispositions relatives au contrôle des actes prévoient que ceux-ci font l’objet d’un contrôle de légalité exercé par les représentants de l’Etat.
La Cour suprême est juge du contentieux né de l’exercice du contrôle. Comme on le voit, les textes procèdent, à ce niveau, à une séparation des fonctions entre le représentant de l’Etat que sont le sous-préfet ou le préfet et le juge qu’est la Cour suprême.
La fonction de contrôle est ainsi dévolue au représentant de l’Etat, celle de trancher le différend né de l’exercice du contrôle, à la Cour suprême.
Ainsi, le contrôle de légalité peut connaître deux issues alternatives : la confirmation tacite ou expresse de l’acte ou sa transmission, pour annulation, au juge de l’excès de pouvoir par une voie de droit exclusivement ouverte au représentant de l’Etat appelée le déféré.

Ce qu’il convient de retenir à ce niveau : c’est que le représentant de l’Etat dispose d’une marge de manœuvre qui lui permet d’éviter, autant que possible, le procès et de trouver un compromis avec l’autorité locale.
Il peut procéder ainsi en exerçant sa prérogative de suspendre, à titre provisoire, le caractère exécutoire des actes par la formulation d’une demande de seconde lecture adressée à l’autorité locale.
Ce qui permet à celle-ci de pouvoir revenir sur les éventuelles illégalités décelées par le représentant de l’Etat.
Ce dernier peut aussi user de sa prérogative première de conseiller l’autorité locale afin de le conduire à procéder au retrait de l’acte illégal ou alors à les réformer dans le sens de les rendre conformes à la légalité.
Le contrôle de légalité, qui met en avant le rôle de conseiller du représentant de l’Etat, permet de limiter le contentieux.
Le contentieux exprime, certes, la vitalité de l’Etat de droit, mais la concertation permanente entre représentant de l’Etat et élu local est vivement recommandée parce que préservant la sérénité nécessaire à l’harmonieuse conjugaison de la déconcentration et de la décentralisation.
Il convient, donc, de privilégier le dialogue entre le représentant de l’Etat et l’élu local sur la propension à aller devant le juge.
Bien entendu, si le recours au juge est nécessaire, il faut le faire car dans un Etat de droit le dernier mot revient au juge.
C’est pourquoi, le Code général des Collectivités locales donne des attributions importantes au juge de l’excès de pouvoir dans le mode de contrôle que l’Etat a le droit et le devoir d’exercer sur les actes de ses démembrements territoriaux.

Ce juge est la Cour suprême, définie par la Constitution et la loi comme le juge de l’excès de pouvoir des autorités exécutives ainsi que de la légalité des actes des collectivités locales.

Monsieur le Président de la Cour suprême, Monsieur le Procureur général,
Votre juridiction est ainsi habilitée à intervenir comme un régulateur de la gouvernance locale en aidant les acteurs locaux à mener les tâches quotidiennes d’intérêt général dans le respect des lois et règlements.
Les modalités d’exercice de l’office du juge en la matière ont été bien présentées dans le discours d’usage et les allocutions suivantes.
Le Procureur général près la Cour suprême est largement revenu sur ce chapitre important du droit administratif qu’est le contrôle de la légalité externe et de la légalité interne des actes administratifs.

Mesdames, Messieurs
Après près de deux décennies de mise en œuvre du contrôle de légalité des actes locaux, il convient de se pencher, à présent, sur le bilan que Monsieur Biram Séne a tenté d’établir, avec brio, avant d’apprécier les propositions d’amélioration de la situation faites par les orateurs.
Les rapports sur le contrôle de légalité évoquent en général des insuffisances affectant l’exercice du contrôle de légalité, portant essentiellement sur :
• le non respect de la formalité de publicité des actes ;
• les lenteurs dans la transmission et la rétention délibérée d’actes ;
• la non délivrance d’accusé de réception ;
• la faible proportion de demandes de seconde lecture de la part du représentant de l’Etat.
En ce qui concerne particulièrement les actes soumis à approbation préalable, on note la rareté des cas de refus d’approbation des actes locaux par les représentants de l’Etat.
Qu’est-ce qui explique cette situation ?
La question a déjà été posée par le Procureur général dans son allocution.
Il semble que cette faiblesse évoquée n’est pas forcément une anomalie et s’explique comme, le relève M. Séne, lui-même, par le fait que les représentants de l’Etat privilégient dans leurs rapports avec les organes des collectivités locales les fonctions de conseiller.
Il faut saluer cet esprit qui ne doit pas, tout de même, amener à négliger les impératifs du respect de la légalité.
Sur le registre des insuffisances, le discours d’usage souligne également, à juste titre, l’absence de suivi et d’évaluation du contrôle de légalité qui a, entre autres, pour conséquence le non respect de l’exigence de production, chaque année, par le Gouvernement d’un rapport sur le contrôle de légalité prévue depuis 1996 et réaffirmée par le code général des collectivités locales.
Sur ce point, j’ai demandé à Monsieur le Premier Ministre de veiller au respect de cette obligation par le Gouvernement.
La production annuelle de ce rapport permettra, à coup sûr, d’avoir une meilleure compréhension des problèmes et de leur apporter les solutions appropriées.
En ce qui concerne spécifiquement le contentieux des actes locaux, sa faiblesse quantitative, s’explique, comme l’a souligné le Premier président de la Cour suprême, par la rareté des saisines, due, en grande partie, pense-t-on, à l’éloignement du juge, la Cour suprême, qui siège à Dakar.
Malgré la pertinence de cet argument, il convient, tout de même, de ne pas négliger les autres facteurs explicatifs de la part très limitée du contentieux administratif dans le contentieux général.
En effet, il est important, dans la perspective de traitement des malentendus entre autorités déconcentrées et autorités locales, mais au-delà entre l’administration et les citoyens, de tenir compte de notre culture du dialogue qui permet d’aboutir à des solutions plus apaisantes et plus efficaces que les procédures contentieuses.
Le faible taux de saisine des juridictions et la faiblesse du contentieux, souvent déplorés par les juristes, sont parfois un signe de bonne santé des relations sociales en général, des relations entre l’Etat et les citoyens en particulier.

Après avoir fait le point sur la question, l’auteur du discours d’usage et les orateurs suivants ont formulé des propositions pour combler les insuffisances.
Les solutions avancées sont intéressantes, cependant il y a lieu de privilégier, par pragmatisme, celles qui tiennent compte des moyens de l’Etat, du niveau de connaissance des textes par les acteurs, de la perception du contentieux par les populations, du réalisme dans l’adaptation de la carte judiciaire aux besoins du pays, de l’exigence d’optimisation du déploiement des ressources humaines nécessaire à une bonne administration de la justice au service du développement de notre pays.
Aussi, me semble-t-il nécessaire de privilégier des mesures qui s’inscrivent dans la perspective plus large du projet de modernisation des administrations des collectivités locales, de renforcement de la déconcentration comme règle générale de répartition des compétences et des moyens entre les Administrations civiles de l’Etat, mais aussi de la mise en œuvre de programmes de sensibilisation des acteurs sur leurs rôles et responsabilités.
Je reste persuadé que la Cour suprême sera un acteur majeur de cette nouvelle dynamique de consolidation de la gouvernance locale.
Par ces mots, je déclare ouverte l’année judiciaire 2016 et vous remercie de votre aimable attention.